mercredi 25 avril 2007

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C’était une haine tenace, la haine d’une femme que le sort avait malmenée. Elle avait de surcroit trouvé en face d’elle un mari qui ne se souciait guère de sa douleur et qui, abusant de ses privilèges de mâle, la laissait se débattre seule face aux difficultés de la vie quotidienne, n’hésitant pas à devenir brutal pour imposer sa loi.

Paradoxalement, ce long combat contre l’adversité du destin, en lui imposant de mobiliser toutes les ressources de sa personnalité, lui avait aussi permis de développer pleinement tous ses talents. Travaux des champs et entretien des bêtes, poterie, tissage, médecine traditionnelle : rien de ce qui touchait à la vie rurale ne lui était étranger. Elle excellait en tout. On venait souvent la quérir pour assister les femmes en couches ou la consulter pour toutes sortes d’affections, qu’elle traitait en utilisant des plantes et des techniques traditionnelles apprises de sa belle-mère.

Mais cette tension psychologique, qui aurait certainement définitivement brisé toute femme, avait fini par la rendre irritable au plus haut point.

C’était envers ma mère en particulier qu’elle manifestait le plus d’animosité. Fort heureusement, cette dernière avait été dressée à l’obéissance totale par un père qui ne souffrait pas qu’on exprimât la moindre protestation à ses réprimandes. Tout ce que demandaient Sidi et Lalla ― c’est ainsi qu’elle appelait son beau-père et sa belle-mère ― devait être exécuté sur le champ.

C’était surtout à mon sujet que ma grand-mère faisait le plus de reproches à sa bru. S’il arrivait à ma mère de me donner une tape, probablement bien méritée, sur les fesses et que j’allasse me jeter en pleurs dans le giron de ma grand-mère, la réaction de cette dernière était invariablement la même :

Est-ce ainsi qu’une mère doit se comporter ? Frapper un poussin comme lui ! Non, ce n’est pas ainsi qu’on élève les enfants. J’en ai eu sept et je n’ai jamais levé la main sur aucun d’eux. Regarde-le; il n’a que la peau sur les os. Quel cœur est donc le tien ?

Ma mère ne répondait jamais à ses remontrances. Elle vaquait à ses occupations tel un automate. Les mots glissaient sur elle sans la toucher. Jamais je ne l’ai vue esquisser le moindre geste d’impatience. La carapace développée face au père a toujours tenu bon.

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