jeudi 17 mai 2007

11

Notre passe-temps favori était de nous asseoir devant la porte d’entrée et de regarder passer les camions qui se rendaient à la plage ou en revenaient, lourdement chargés de sable ou de gravier, peinant à gravir la pente et émettant à intervalles réguliers un sifflement strident, comme une sorte de soupir bruyant. Ils laissaient derrière eux des traînées de sable mouillé que nous nous empressions de ramasser.

Mais ce que nous guettions avec impatience, c’était la vieille Citroën grise de Monsieur Broyel. Dès que nous l’apercevions, nous courions à sa rencontre. Il ne manquait jamais de s’arrêter pour nous pincer les joues. Puis, après avoir fouillé dans la poche de son veston, il nous présentait à tour de rôle ses deux poings fermés. Chacun de nous devait deviner où se trouvait le bonbon pour y avoir droit.
Monsieur Broyel était l’unique propriétaire de tout le vignoble autour du village. Sa maison, qu’il occupait seul, se trouvait à côté de la cave coopérative, à la limite nord du village. C’était, avec les Baye, le dernier représentant de la communauté qui avait fondé le village, un siècle auparavant.

Nos voisins de gauche, les Merveille, n’habitaient au village que depuis quelques années. Le mari, un employé de la commune, s’occupait de l’entretien de la station de pompage d’eau qui alimentait la ville et qui se trouvait au bord de l’oued. Leur maison située à l’entrée du village, faisait face à l’école, une grande bâtisse dont la cheminée abritait un couple de cigognes.

La maison où habitaient le garde-champêtre et sa femme ― également étrangers au village ― était accolée à l’école. Un petit mur, entièrement couvert de liserons, en cachait la vue. Une pergola de vigne ombrageait l’allée qui menait de l’entrée principale, fermée par une grille, à la porte de la maison. Un grand chien-loup noir y rôdait en permanence. Le garde-champêtre vendait également du tabac, et nous pouvions voir, de temps à autre, un client tirer sur la chaîne qui actionnait la clochette fixée au linteau de briques rouges qui surmontait la grille. Le chien qui somnolait sur le seuil de la porte se lançait alors vers l’inconnu en aboyant. Au bout de quelques instants, la maîtresse de maison se présentait, prenait l’argent et disparaissait pour revenir avec une boîte de chique ou un paquet de cigarettes. Parfois, elle ouvrait la grille et faisait quelques pas dehors, le tablier noué autour de la taille. « Ah ! Tu es là toi ! Viens donc ici Petit Poucet !» C’était ainsi qu’elle m’appelait. Elle refermait la grille pour empêcher le chien de sortir et me faisait signe de traverser la route. La perspective de récolter une friandise était plus forte que ma peur du chien et je finissais toujours par courir dans sa direction. Elle me prenait dans ses bras. « Quand est-ce que tu vas grandir ?» disait-elle en riant. Les bonbons suivaient toujours.

Aucun commentaire: