vendredi 11 mai 2007

8

Quelques feuilles de zinc mal assemblées à l'aide d'une structure faite de matériaux hétéroclites ― planches vermoulues, branches d’olivier, parpaings ― et une vieille porte, qu’on fermait le soir avec un petit verrou, séparaient la maison du jardin.

L’écurie était collée à la maison, sur le côté droit. Trois vaches et une ânesse y passaient la nuit. Une partie de l’espace contenait la réserve de foin et les outils ― pioches de différentes tailles, fourches, faux et faucilles, haches… Deux quinquets en cuivre, devenus inutiles, étaient posés là, sous une épaisse couche de poussière, à côté de deux étriers qui avaient peut-être appartenu à l’Ancêtre.

Derrière l’écurie se trouvait la réserve de fumier, alimentée chaque matin par ma mère qui, une fois les vaches traites et emmenées aux champs par mon grand-père, maniait la fourche et poussait la brouette comme un homme pour sortir les litières de paille de la nuit et en mettre de nouvelles. Ma grand-mère l’aidait parfois. Mais cette dernière s’occupait surtout du poulailler et du jardin. Il y avait toujours des poules qui se promenaient partout dans la maison et je poussais de grands cris de joie en entendant leur long caquètement si particulier lorsqu’elles venaient de pondre. Je courais alors vers l’endroit d’où venaient les cris et trouvais toujours un bel œuf blanc ou brun, à côté du bouton de porte en porcelaine blanche que ma grand-mère avait placé là pour inciter les poules à y pondre. « Il est ici ! Il est ici ! » L’œuf ramassé allait prendre place dans le petit panier sphérique que ma grand-mère cachait sous un morceau de tissu, à côté de la réserve de semoule ― deux grands koufis qui occupaient un angle de la pièce où elle dormait. Une fois par semaine, le contenu du panier était cédé contre quelques dizaines de douros à un marchand ambulant aveugle qui venait de la ville voisine.

Le jardin, qu’on avait divisé en deux terrasses, à cause de la forte déclivité du terrain, s’étendait sur une cinquantaine de mètres, jusqu’au bois de pins sylvestres qui bordait le village du côté ouest. Une rangée de figuiers de barbarie en protégeait l’accès. Mon père y avait planté quelques arbres : plusieurs figuiers, deux citronniers, deux poiriers et, courant le long de la haie de roseaux qui limitait notre propriété du côté droit, une rangée de grenadiers. Seuls les figuiers et les citronniers donnaient des fruits d’une qualité acceptable. Les autres arbres servaient surtout à nourrir les oiseaux.

La production de légumes était nettement plus consistante. Le cycle commençait en automne avec les pommes de terre, puis venaient les artichauts, les fèves, les haricots et les oignons. En été, c'étaient les tomates et les poivrons qui, cueillies le matin, se retrouvaient en tchektchouka ou en salade sur la meïda de midi. Bêcher, planter, arroser, récolter: les mêmes gestes revenaient, saison après saison. Un ouvrier payé à la journée exécutait les grands travaux ; ma grand-mère se chargeait ensuite de l’entretien quotidien : sa petite bêche ne s’arrêtait qu’à la tombée du jour.

Aucun commentaire: